Louis Sclavis à Jazz360 2018 : Characters on a wall

On ne présente plus le clarinettiste, saxophoniste et compositeur Louis Sclavis, et pourtant l’écouter, c’est emboîter le pas de son histoire musicale et humaine. Alors parlons-en...

 

Cheminement musical :

 

Louis Sclavis commence sa carrière professionnelle en 1975 au sein du Workshop de Lyon, lequel collabore avec la chanteuse Colette Magny. En 1977 il participe à la création de l’Arfi, joue et enregistre avec le Marvelous band, la Marmite Infernale etc., puis il devient le saxophoniste de Steve Waring.

Parmi les rencontres marquantes de sa vie musicale, commençons par Michel Portal avec lequel il joue en duo ainsi qu’avec des musiciens européens comme Tony Oxley, Evan Parker, Peter Brotzman, Enrico Rava, Tomasz Stanko…. « Avec Michel Portal, on arrive vite à accorder nos sons après avoir joué quelques notes ensemble, et à trouver un mouvement commun après » explique-t-il dans une interview (1). L’un des lieux qui les rassemblent se trouve à Uzeste auprès de la Compagnie Lubat, et que Louis Sclavis aime à retrouver pour « découvrir et ouvrir toutes les portes du possible » (2).

Louis Sclavis
Louis Sclavis

Son profil web révèle qu’à partir de 1985, il forme un trio avec François Raulin et Christian Ville, qui deviendra un quartet avec l'arrivée de Bruno Chevillon, puis plus tard un quintet avec Dominique Pifarely. Le Prix Django Reinhart du « meilleur musicien de jazz français » lui est attribué en 1988. En 1989, il obtient avec son quartet le premier prix de la Biennal de Barcelona décerné au meilleur créateur européen puis reçoit au Midem le British Jazz Award 1990-1991 du meilleur artiste étranger. Il est récompensé par un Djangodor en 1993 dans la catégorie "meilleur disque de jazz français de l'année".Devenu une référence en matière de musique improvisée, Louis Sclavis s’entoure en 2005 de musiciens plus jeunes au sein d’un groupe qu’il baptise « L’Imparfait des langues ». Il en poursuit l’expérience avec l’album « Lost on the Way » (2008), inspiré de l’Odyssée, qui laisse entendre la culture pop-rock de ses partenaires.

Toujours poussé par le désir d’associations nouvelles, il forme en 2009 un Eldorado Trio avec Craig Taborn et Tom Rainey et constitue l’année suivante l’Atlas Trio avec le guitariste Gilles Coronado et le pianiste Benjamin Moussay, formule instrumentale inédite qui, de son aveu, l’oblige à remettre sur le métier ses conceptions en matière de composition. Plus que les retrouvailles régulières avec Romano et Texier (que rejoignent, le temps d’un disque, trois invités, Enrico Rava, Nguyên Lê et Bojan Z en 2011), c’est à cette formation qu’il consacre l’essentiel de ses efforts, avec laquelle il tourne et enregistre un second album, « Silk and Salt Melodies » (2014). En 2017 paraît Asian Fields Variations chez ECM en trio avec Vincent Courtois et Dominique Pifarély. (3)

Dominique Pifarely, Vincent Courtois, Louis Sclavis
Dominique Pifarely, Vincent Courtois, Louis Sclavis

Des projets musicaux à dimension ouvertement humaine

 

La virtuosité de Sclavis prend toute sa mesure au sein des rencontres humaines qui la motivent. Il intègre ainsi, dès 1981, le quintet d’Henri Texier avec Bernard Lubat, Philippe Deschepper et Eric Le Lann puis s’embarque dans les années 1990 pour un Carnet de route en trois expéditions où Guy Le Querrec , photographe de l’agence Magnum, couvre les rencontres du trio Romano-Texier-Sclavis avec le public d’une vingtaine de pays d’Afrique Centrale. Cette Suite Africaine, à la fois envoûtante, déroutante et stimulante, dessine le territoire d’une musique à la fois nomade et profondément cohérente que Louis Sclavis allait continuer à explorer.

Henri Texier, Louis Sclavis, Aldo Romano
Henri Texier, Louis Sclavis, Aldo Romano

A la rencontre des autres, qu’ils soient musiciens ou publics les plus divers, du festival d’Uzeste à Jazz360, Louis Sclavis cultive l’esprit de la découverte et s’ouvre à tous les arts : au cinéma pour lequel il compose les musiques de film de Amos Gitai et de Bertrand Tavernier pour n’en citer que quelques-uns, à la danse avec Mathilde Monnier, au théâtre avec Jacques Bonnaffé, et avec Ernest Pignon Ernest.

Faire résonner les murs avec Ernest Pignon Ernest

 

Dès ses premières œuvres dans les années 70, Ernest Pignon-Ernest est un artiste de la rue, un artiste engagé qui dénonce les avanies du monde qui l’entoure. Pionnier du street-art en France, il interpelle ses congénères avec des figures au fusain dessinées sur des affiches-pochoir qui seront imprimées justement là où elle prennent tout leur sens: hommage déchirant à Pasolini (assassiné) sur les murs de sa propre maison, à Jean Genet, à Mahmoud Darwich, Arthur Rimbaud autant qu’aux silhouettes de migrants à Calais ou de noirs du ghetto au temps de l’apartheid sud-africain « Je n’expose pas des dessins dans la rue, je provoque quelque chose dans la rue », dit-il avant de compléter : « ce que je propose, ce n’est pas mon bonhomme, c’est bien le lieu et sa mémoire « (4).

Ernest Pignon ERnest / Pasolini
Ernest Pignon ERnest / Pasolini

Louis Sclavis et Ernest Pignon-Ernest se sont rencontrés à Uzeste, sous la houlette de Bernard Lubat « celui qui bouscule les certitudes, provoque la réflexion, provoque les rencontres » (5). Terreau artistique suffisant pour que l’indignation picturale de l’un rejoigne l’improvisation musicale révoltée de l’autre. Leur longue collaboration artistique est marquée par Napoli’s Walls, en 2002, joué par Louis Sclavis, Vincent Courtois, Médéric Collignon, Hasse Poulsen à partir des dessins réalisés à Naples par Ernest-Pignon-Ernest de 1987 à 1995. « Napoli’s walls, les murs de Naples : on ne définira pas la musique qu’ils suggèrent ; on précisera seulement qu’elle jouit sans entrave de la liberté de l’invention. Cette lecture musicale de l’œuvre de Ernest Pignon-Ernest, inspirée par une errance dans les rues de Naples, où des murs de la cité surgissent ses images, est donc inouïe » (6).

Ici à Jazz360, de Napoli’s walls à Characters on a wall :

 

Avec Character’s on a wall, joué à Cénac le vendredi 8 juin 2018, Louis Sclavis, à la clarinette, revient vers Ernest Pignon-Ernest accompagné de son quartet : Sarah Murcia à la contrebasse, Benjamin Moussay aux claviers et Christophe Lavergne à la batterie.

Christophe Lavergne, Sarah Murcia, Louis Sclavis, Benjamin Moussay : Characters on a wall
Christophe Lavergne, Sarah Murcia, Louis Sclavis, Benjamin Moussay : Characters on a wall

Huit œuvres picturales pour huit œuvres musicales, inspirées par des personnages comme Arthur Rimbaud, Pier Paolo Pasolini, Jean Genet, Mahmoud Darwich, La dame de Martigues ou des tableaux tels que Extase, Les prisons, Réfugiés. Il ne s’agit pas pour lui de représenter les œuvres de Ernest-Pignon-Ernest mais d’en saisir les émotions et de les partager avec le public. Un concert initié il y a plusieurs mois et co-écrit par les membres du quartet, fidèle à la verve improvisatrice de Louis Sclavis, toujours en éveil et en émergence, pour notre plus grande joie.

 

Annick Ventoso y Font                      

Sources :

1. Propos et confidences de Louis Sclavis et Michel Portal,2004, http://www.scena.org/lsm/sm10-1/Michel-Portal-and-Louis-Sclavis.htm

2. Louis Sclavis , Le sel de la conscience et la soie du raffinement musical, ...Uzeste Musical, 2015. http://www.uzeste.org.

3. Louis Sclavis, Clarinette, http://www.inclinaisons.com/profile/louis-sclavis/

4. Biographie de Ernest-Pignon-Ernest http://www.street-art-avenue.com/biographie-artiste-ernest-pignon-ernest-street-art.

5. Louis Sclavis , Le sel de la conscience et la soie du raffinement musical, Uzeste Musical, 2015. http://www.uzeste.org.

6. Louis Sclavis in Napoli’sWalls cité par Jacques Erwan, L’écumeur de mémoire, http://www.jacques-erwan.fr

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