L'Astrada de Marciac, vendredi 25 juillet 2025
Chronique d'Annie Robert / Photographies : tous droits réservés

« Maîtrise parfaite de l’instrument, un son puissant et précis, une approche harmonique élégante, bien enracinée dans la tradition du jazz et pourtant résolument moderne, un phrasé exubérant et racé, posé sur le groove avec une précision d’orfèvre… Ce garçon a tout du jeune lion », voilà les mots de Giovanni Mirabassi, directeur du label Jazz Eleven. On fait pire comme compliment..
Et il faut dire que Mark Priore et son piano impressionnent. Il présente ce soir son album Initio accompagné de deux beaux instrumentistes Juan Villarroel à la contrebasse et Élie Martin-Charrière à la batterie, tous les deux parfaitement à l'écoute, qui vont offrir un écrin complice et dense à ses compositions.

Le concert débute par un morceau tout neuf, sorti de l’œuf, qui se nomme "Résilio" et qui est un résumé du travail du trio. Une intro minimaliste et légère à la Einaudi, puis travaillée ensuite sur un ostinato, repris à la contrebasse, met en route plusieurs changements d'atmosphère, du planant à l'urgent, de l'harmonique à l'atmosphérique, du babillage à la parole forte, du cocon à l'inconfort.
On sent des influences classiques que l'on retrouvera dans un morceau comme "Marcel" hommage ému à un petit garçon hors norme. Mais aussi l'amour d'Ahmad Jamal et de son style, Mark Priore développant la surprise, les ruptures, l'utilisation des silences, les accents romantiques, avec un phrasé à la fois dynamique et léger.
Certains morceaux se veulent narratifs, tel "Orphée et Euridyce" avec une batterie polyrythmique, reprise sur la main droite du pianiste, puis sur la contrebasse, chaque soliste se trouvant tour à tour soutenu par les deux autres.
D'autres morceaux sont davantage impressionnistes comme cette belle ballade (dont je n'ai pas retenu le nom) à consonance irlandaise ou ce morceau qui s'enlace comme un tango.
Des petits plus pour ce pianiste : une influence baroque bien ingérée que l'on retrouve dans certains de ses morceaux par petites bribes, par touches légères structurées ; et une incursion dans un jazz moderne et délibérément contemporain en particulier dans des moments "dramatiques" et rompus.
Ces deux héritages se mélangent sans esclandres, avec évidence et offrent une couleur très personnelle, un langage véritable et cohérent.

Mais aussi (pour moi, ah le ressenti quelle histoire), quelques petits moins...
Sur les huit morceaux entendus, quatre dévoilent la même structure, départ léger piano, développement, impros, montées vers l'acmé et retour piano léger...
La surprise si elle est présente dans les développements (et dieu sait qu'elle l'est !) est absente dans la structure. De même le jeu du piano me semble un peu trop démonstratif, bavard par instant.
Peut être qu'il y aurait à tendre vers plus de sobriété, à se débarrasser du désir de trop en faire... mais peut être pas après tout. Exubérant dirait Mirabassi...
Si le jeune lion a largement ébroué sa crinière, si on a été bluffé par son cri musical, ses influences, sa capacité à faire sienne les multiples couleurs de son parcours ; sa personnalité profonde et son talent ne nécessitent pas forcément de montrer ses muscles outre mesure.
Toutefois, ne chipotons pas. Ce fut vraiment un très beau concert, rempli de la joie fraternelle de ces trois musiciens absolument épatants et talentueux, celle de s'inscrire dans un jazz en mutation moderne et inspiré.
Mark Priore et son trio y contribuent et cet Initio porte bien son nom, un premier pas sur le chemin.