Première partie
Chapiteau de Jazz in Marciac, jeudi 31 juillet 2025
Chronique d'Annie Robert / Photographies : Laurent Sabathé

Ce soir au chapiteau de Jazz in Marciac, l'ambiance est à la musique africaine avec deux de ses représentants majeurs, à la fois dissemblables et complémentaires, mais tous deux dans la résistance et la mémoire de leurs peuples, mélangeant modernité et tradition, héritage et combat.
Salif Keita assure cette première partie. Descendant de princes guerriers, fils de deux parents africains noirs, Salif Keita, le pionnier de l’afro-pop, est né « blanc ». Et c 'est d'abord contre les siens qu'il lui a fallu se battre; contre l’ostracisme envers les albinos, victimes de meurtres rituels dans certaines régions d’Afrique et contre sa famille aussi puisque héritier des grands princes mandingues, il lui était interdit de faire de la musique.

Dans les années 1970 et 1980, après s'être exilé, il deviendra une icône reconnue internationalement grâce à sa voix, à ses arrangements musicaux novateurs et à ses paroles éminemment poétiques.Il mélange la musique traditionnelle Mandé avec le jazz, le blues et les styles de musiques occidentales plus électriques. Une synthèse brillante qui le fera connaître et apprécier partout. Certains de ses titres étant largement réenregistrés et repris par des DJ.

Ce soir, pourtant il a délaissé les grosses formations, la recherche du son luxuriant pour revenir à une formule plus intimiste et acoustique, un retour à ses racines. Il présente « So Kono » ( dans la chambre), lui à la guitare d'abord seul pour deux morceaux puis entouré ensuite de ses trois musiciens vêtus de rouge, ses « griots » comme il les nomme Guimba Kouyate (guitare), Makan Tounkara “Badjé” (ngoni), Tiere Daou “Amadou” (calebasse, tama).
Des instruments doux, mélodiques et caractéristiques. Des petits bouts de tradition (calebasses et ngoni) mais aussi du son d'ailleurs, (charley et guitare) Rien de spectaculaire donc, mais un partage profond. Les paroles, en mandingue ne nous sont pas accessibles, mais à travers la voix puissante et rauque, les inflexions nostalgiques, des paysages se font jour. Des images de marche lente, de regards échangés, de mains sur les épaules, des poussières brillantes ou des cascades bouillonnantes.

De cette musique répétitive, à la fois simple, profonde et incantatoire, naît une proximité de sens, un flux d'atmosphères et de légendes. On se laisse prendre par la main pour explorer sans le savoir, sans le connaître ce Mali que nous ne voyons plus en ce moment qu'à travers des images de guerre.
Sur le dernier morceau « se you tomorrow » le public accompagne, debout avec ferveur, en battant des mains, la « voix d'or de l'Afrique » en dansant sur ces boucles hypnotiques.
Le rappel, avec Selif Keita aux kalimba et le percussionniste au tama, ce tambour si parlant mettra le chapiteau en transe.
Entre reprises de classiques et nouvelles compositions, ce concert,atypique pour lui, résonne comme un moment sincère et envoûtant, rappelant pourquoi il est considéré comme l’un des plus grands chanteurs vivants, toutes cultures et tous continents confondus. Le temps passé auprès de lui n'est pas du temps perdu, c'est du temps suspendu, parfois lointain, parfois très proche, parfois tendre, parfois douloureux, parfois triste, parfois dansant mais toujours habité et d'une musicalité profonde.