GRÔO

Mais quelle donc cette dénomination, le GRÔO ? Une bestiole bizarre aux cent pattes ? Un appareillage hybride ? Une construction baba-cool ? Une boisson sans alcool ? Un concept mathématique ?

Rien de tout cela.

Le GRÔO comme son nom l'indique à moitié (GRand Orchestre d'Occitanie) est un projet remarquable et intelligent dont il faut saluer l'existence. C'est une formation tournante qui ressemble beaucoup à ce que peut être l'Orchestre National de Jazz, un regroupement d'une douzaine de musiciens en fin de cycle des conservatoires, recrutés sur audition pour deux ans (donc le must...), et coachés par un.e musicien.ne composit.eur.rice également sur deux ans.

Porté par OcciJazz, réseau jazz de la région Occitanie, il permet d'accompagner ces jeunes musiciens talentueux dans cette phase spécifique qu'est la transition entre la dernière année d'étude et l'entrée dans le monde professionnel.

C'est un support incroyablement fort et dense et sans aucun doute un enrichissement magnifique pour tous.

Pour cette troisième édition, après Fred Pallem et Ève Risser, c'est David Haudrechy, fondateur du grand format Initiative H qui est aux commandes. Le répertoire qu'il leurs propose est une synthèse des 10 ans d'existence d'Initiative H plus un morceau de Moondog auquel ils ont déjà rendu hommage.

Sur scène donc, six soufflants (dont deux filles, ça progresse doucement...) pour une section cuivre musclée, active, totalement bluffante; deux guitares véloces, une basse d'enfer, une batterie du tonnerre au sens littéral et figuré et un vibraphone vibrionnant. Plus la voix de Lucie Revel, claire et planante, qui apporte à l'ensemble une délicatesse perchée. Et bien sûr David Haudrechy à la direction, et aux sons, précis, attentif à tous, bienveillant.

David Haudrechy est le compositeur principal d'Initiative H. Il en porte la couleur, et les partis pris audacieux.

Et on retrouve ainsi dans le GRÔO tout ce qui fait sa marque: une musique incarnée, en prise avec son époque et son environnement, des morceaux célébratifs, puissants, un jazz fusionnel transgressif mêlé de rock, impressionnant, captivant, une symphonie multiple. Du son mais pas n'importe lequel, comme un jardin anglais, la quiétude en moins : coloré, étonnant, foisonnant, avec une surprise à chaque détour. Ça a l’air évident et naturel, mais c’est construit et pensé pour que l’oreille se régale et s'étonne, s'inquiète parfois, que l’harmonie baigne l’atmosphère mais pas trop, que la puissance rende la route vivante et drue.

Avec cette formation, plus jeune, talentueuse certes mais plus jeune, on aurait pu s'attendre à une prestation plus «scolaire», plus sage ou moins accomplie. Mais il n'en est rien. Chaque instrumentiste s'est approprié les thèmes et les morceaux, les structures et la couleur, ils s'y glissent, s'y plaisent visiblement et du coup donnent le meilleur d'eux même et c'est excellent.

Quel tourbillon, entre solos furieux et harmonies douces et fortes. Il faut dire que le jeu des possibles est immense (à deux, à trois, à plus, à tous...). Il y a parfois quelques accents de « Magma » dans ce melting-son intelligent, inspiré. La place forte laissée à l'impro et le côté rock sauvage font de tous ces morceaux une symphonie tissée d'écriture et de liberté, pleine de rupture et d'émotions. Le chant porté par la soprane, se transmet parfois à tous, avec des petits rappels, des bouts de thèmes et de mélodies. Parfois cela se fait grave et dramatique.

Il n'y a pas de place pour les fioritures inutiles, les égos surdimensionnés, la joliesse et les facilités. Il faut aller chercher loin dans la technique mais aussi dans « l'âme musicale » et ça a dû bosser dur, collectif et généreux pour en arriver là.

La musique d'Initiative H se prête parfaitement à cette expérience-là. Le dernier morceau qui finit en pleines voix multiples signe à l'évidence cette réussite, un vrai partage, une véritable révélation de chacun, une construction éducative et musicale qui se laisse oublier...

Quel beau moment ! Et quelle belle idée que ce GRÔO !

Cécile Fort, flûte / Lucie Revel, voix / Lucie Vigier, clarinette et clarinette basse

Lucien Bonnefoi, trompette / Cyril de Plinval, saxophone soprano & alto / Romain Ludéritz, saxophone alto & tenor

Sacha Lourties, trombone / Sacha Partouche, vibraphone / Maxime Primois, guitare

Théo Saïd, guitare / Olivier Solana, basse / Théo Lévis, batterie

David Haudrechy, direction & sons additionnels