SYLVAIN LUC : In memoriam d'une rive à l'autre...

Sylvain Luc a quitté notre monde ce mercredi 13 mars 2024, son cœur s'est arrêté de battre et sa guitare esseulée restera désormais sans écho.

S''il y a des personnalités dont la mort nous trouve empathiques ou désolés (mais on se dit que l'heure était peut-être venue et qu'ils avaient bien vécu), d'autres nous laissent le plus souvent indifférents, voire même pour certains pas fâchés de les voir partir...

La mort de Sylvain Luc, elle, nous cabosse. Abasourdis, abattus, incrédules et presque en colère.

On sent bien que quelqu'un, quelque chose vont manquer à l'ouverture au monde, à la découverte du beau, à l'exaltation et à la joie du partage. Un blanc, une absence, un silence à présent au lieu de la floraison permanente, raffinée et inventive de sa guitare.

Le samedi 15 mai 2010, pour la première du Festival Jazz360, Sylvain Luc fut notre tête d'affiche, acceptant de lancer cette édition balbutiante, dans un petit festival rural dont personne ne connaissait ni l'avenir, ni les possibilités. On avait ce jour-là, couru acheter en catastrophe un jeu de cordes au cas où... On l'avait découvert, amusés, repassant avec application sa chemise avant de monter sur scène...mais surtout on l'avait écouté !

Pendant la master class d'abord, devant une quarantaine de musiciens ou d'amateurs attentifs, il avait parlé du bal, des soirées remplies de musique avec ses frères jusqu'à l’épuisement; des notes colorées qui emplissaient sa tête lorsqu'il jouait « vous voyez cet accord-là, je le sens plutôt bleu foncé mais si j'y rajoute cette note, le bleu devient plus vif, plus intense... » ; de son étonnement toujours présent de pouvoir vivre de la musique. Il avait été curieux des questions, on avait ri avec lui, découvert ses multiples collaborations avec des artistes incroyables. On s'était étonné de ses doutes et de ses remises en question alors qu'il était déjà largement au sommet...On avait aimé l'artiste flamboyant, créatif, d'une virtuosité sans faille, le génie qui pouvait marier tous les styles. On avait aimé l'homme aussi, modeste, discret et joyeux.

Le soir, la salle était comble (on a même refusé du monde) pour son concert solo, lui et nous, sa guitare et nous, les chansons d'Édith Piaf et lui, se clôturant sur une impro éblouissante autour de trois thèmes enchevêtrés recueillis dans la salle. Chacun était reparti avec un bout de soleil en dedans. C'était sa force : une musique savante mais proche, délicate et complexe, le meilleur pour chacun.

L'an dernier en 2023, le Festival l'avait réinvité en compagnie de Bernard Lubat, pour le concert « Intranquille » où la folie, l'imagination, l'incongruité, la virtuosité des deux compères ont fait des merveilles réjouissantes. Et aussi et toujours l'improvisation, ce « souvenir de ce qui n'est pas encore advenu » dont Sylvain était un des grands maîtres.

Avec lui nul besoin de mise en scène déjantée, de guitare à vingt-six cordes, de lumières excessives. Pas de recherche du morceau de bravoure, du chorus légendaire que l'on repique dans les conservatoires. Tout était déjà dans ses mains, entre ses mains. Il était au service. Au service de la mélodie, de la musique, au service de ses partenaires, au service du public.

Sylvain avait quelque chose à dire, de profond et de plein. De multiples choses à dire tout simplement.

En ces moments difficiles pour l’humanité, pour chacun, ces moments de rétrécissements des valeurs, de fermetures des écoutes et des haines diffuses et glaçantes, nous perdons un allié flamboyant, une porte vers la meilleure part de nous-même.

Il nous reste ses disques, des vidéogrammes, (ici avec son épouse Marylise Florid) c'est un bel héritage mais on se sent orphelin de ses futurs et de ses possibles.

Sylvain va durablement nous manquer.